Gilets jaunes : les digues rompent ou la colère sans filtre

Gilets jaunes : les digues rompent ou la colère sans filtre

Cela fait longtemps que les associations et les collectifs alertent sur l’état catastrophique de la démocratie locale à la sauce Roland Ries. Question : faut-il se battre en respectant la loi comme le collectif du foyer St Louis ou en bloquant les ronds-points comme les gilets jaunes ?

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C’était le 22 juin 2016. J’étais avec Robert Grossmann et Jacques Gratecos dans le bureau de Roland Ries en train d’essayer une dernière conciliation dans l’affaire du Foyer St Louis. Le maire de Strasbourg, droit dans ses bottes, ne voulait pas changer une ligne du projet (mal) voté par le conseil municipal. Et je me souviens très bien de ce que j’avais dit à Roland Ries, qui semblait s’agacer de ces Robertsauviens rebelles.

 » Les associations sont des digues, il faut les respecter et écouter à leur juste mesure leur expression, car lorsqu’elles auront cédé, nous ne pourrons répondre de rien et tu n’auras plus d’interlocuteur. »

En sortant de la réunion, nous avons reçu une fin de non recevoir. Les actions judiciaires ont commencé après cette ultime tentative. Jusqu’au bout, le collectif « un Cœur pour la Robertsau » a tenté la voie du dialogue. 

À côté de la vie des personnes ou de leur santé, la bataille pour un projet pour le cœur de la Robertsau peut paraître dérisoire. Mais en fait c’est un révélateur de la déconnexion des décideurs face aux associations, aux collectifs, aux conseils de quartiers… (la liste peut-être longue). 

Ce n’est pas l’ADIR et les associations de quartier de la Robertsau qui me contrediront, il est difficile de se faire entendre par la ville de Strasbourg et nous avons fait souvent ici sur ce blog le constat d’une démocratie locale totalement en panne. (Voir les nombreux articles sur le sujet sur le Blog de la Robertsau.)

Le collectif à pétitionné, réunionné, manifesté (toujours déclarées, les manifestations)… Livre blanc, tracts de toutes natures, expressions sur le site, sur la page Facebook, participation à des dizaines de réunions de « concertation », rien n’y a fait. La question de l’avenir s’est (mal) réglée au tribunal administratif. 

Et voilà que l’on apprend au détour d’une petite ligne d’un projet budgétaire que la Ville souhaite acquérir une partie de la cour du Foyer St Louis… L’atelier de concertation sur le centre de la Robertsau et le Conseil de quartier n’étant nullement au courant bien-sûr. L’adjointe de quartier, dans une fuite en avant, continue mordicus et tête baissée ; elle accélère son programme de bétonnage de la Robertsau. Avoir tort peut-être, mais tout sauf se renier ! 

Une démocratie locale d’affichage

Ainsi donc la Ville vient de valider l’idée que de respecter les institutions est une pure perte de temps et totalement inefficace. Le dédain vis à vis des associations et des « corps intermédiaires », les derniers empêcheurs de tourner en rond, est flagrant quand il s’agit de demander aux collectivités de respecter la réglementation par exemple pour avoir accès aux documents publics ou de rendre des comptes… Essayez, vous tomberez de haut. 

Et ce n’est pas le bidule du « nouveau pacte pour la démocratie locale » qui va changer les choses. Prenez par exemple l’association Zona qui lutte désespérément contre la bétonisation de la ceinture verte de Strasbourg. La pétition sur strasbourg.eu est tellement compliquée que malgré sa forte mobilisation, Zona atteint péniblement 425 signatures alors que sur Change.org on va bientôt dépasser les… 4000. 

La pétition de Zona pour défendre la ceinture verte : 4000 sur change.org et 425 sur strasbourg.eu

Un lecteur du Blog me signalait qu’il fallait être plus que motivé pour aller jusqu’au bout du processus. L’administration est toujours inventive quand il s’agit de rendre une chose simple compliquée. Et tout ça pour quoi ? Une interpellation à la fin du conseil municipal. Zona a vraiment du courage. 

C’est encore pire depuis que le hermannisme préside à l’Eurométropole. De gauche à droite, tout le monde dans le même bateau, plus d’opposition… C’est plus facile à gérer, mais les citoyens sont réduits au silence car il n’y a plus personne pour les représenter. On a atteint des sommets avec Alain Jund, soit-disant écologiste, qui signait des permis de béton à tout va… Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. 

Pour se faire entendre, faut-il bloquer les carrefours ? 

Et voila que la colère s’exprime sans filtre avec les gilets jaunes. Une goutte d’essence qui fait passer une frustration générale en colère. Sans aucune organisation, sans syndicats, sans association pour organiser, encadrer et encore moins négocier. Et en moins d’un mois, les gilets jaunes ont démontré que seul le rapport de force avait une chance de se faire entendre et il faut l’avouer, c’est plutôt efficace. 

En aucun cas je ne cautionne les blocages, les atteintes aux libertés, mais étant engagé dans la vie publique et associative depuis plus de 25 ans, je constate qu’à la dureté institutionnelle, l’expression respectueuse ne fonctionne pas. Il y a bien des victoires ici ou là quand il y a un alignement d’étoiles (avec la géothermie par exemple), mais c’est l’exception qui confirme la règle. Pour le reste, l’administration et la ville jouent avec les associations comme un chat joue avec une souris… On sait qui gagne à la fin. 

Et à l’exemple des gilets jaunes, les militants anti-GCO après avoir respecté pendant des années les procédures, changent de méthode et vont au « contact » comme lors de la plantation d’arbres quai des Bateliers…
 

Et finalement la question est toute simple, pourquoi s’embêter à s’investir dans une association et se « taper » de nombreuses réunions quand de toute façon, le bulldozer a décidé d’avancer ? Le crédit des partis politique est dans la cave, celui des syndicats proche de zéro et celui des associations n’est pas très loin… Les digues ont rompu… et la colère est sans filtre. 

Il faudra beaucoup de temps pour reconstruire cette confiance entre les citoyens et leurs élus. Mais pour l’instant, si le pouvoir a un peu bougé par peur du chaos, pas sûr qu’il comprenne les ressorts profonds de la colère. 

Emmanuel Jacob

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