[Tribune] « Le Parlement européen succombe au grignotage de l’Europe libre et ouverte »
Les élections européennes sont dans moins d’un an et le Parlement Européen, avec la complicité de l’Etat et la Ville de Strasbourg, vient d’envoyer aux Strasbourgeois le pire des signaux : la sécurité des députés européens vaut mieux que la leur.
Les élections européennes sont dans moins d’un an et le Parlement européen, avec la complicité de l’État et de la Ville de Strasbourg, vient d’envoyer aux Strasbourgeois le pire des signaux : la sécurité des députés européens vaut mieux que la leur.
Malgré quatre manifestations, plus de 2000 signatures de la pétition en ligne, personne n’a eu le courage d’arrêter l’infernale mécanique d’une bunkérisation du Parlement européen à Strasbourg.
Cela a commencé il y a deux ans par la fermeture du jour au lendemain de la promenade Alcide de Gasperi. Son nom ne vous dit peut-être pas grand chose, mais c’est l’un des fondateurs de la démocratie chrétienne italienne et il est considéré comme l’un des pères de l’Europe aux côtés de Robert Schuman. L’Europe ferme des voies, comme un sombre présage de ce qui allait arriver à l’Italie.
Il y a un an, en plein été, des arbres ont été abattus le long du quai du bassin de l’Ill. C’est en cherchant la cause de ces coupes que l’on a découvert, presque par hasard, deux petites feuilles A4 sur une grille annonçant des travaux à venir : la fermeture pure et simple du chemin le long de l’IPE 3.
Après les premières mobilisations de citoyens et d’associations, on nous propose, comme maigre consolation, la fermeture du quai uniquement pendant les sessions. À n’en pas douter, à la première alerte, comme la promenade Alcide De Gasperi, il sera définitivement fermé. Aucun responsable ne résiste à la tentation du parapluie. Depuis, le Parlement s’est entouré de barbelés…, deuxième coup de canif.
Une erreur sur la forme
L’institution européenne vient de montrer comment elle considère les citoyens : par le mépris. S’il fallait, en ces temps où le populisme gagne du terrain, mettre de l’huile sur le feu et jouer au pompier pyromane, c’est la « bonne » méthode.
Maintenant entourée de barbelés, inaccessible aux promeneurs, cyclistes, sportifs et aux touristes soucieux de toucher l’Europe du doigt, l’institution se referme peu à peu sur elle. Triste message.
Pour couronner le tout, la Ville vient de poser des panneaux pour annoncer la fermeture, comme si nous étions des gamins. Il ne manque plus qu’un petit lapin et l’on finira définitivement de nous prendre pour des neuneus.
Il ne sert à rien de critiquer ceux qui veulent reconstruire des murs (Trump à la frontière du Mexique, les conservateurs anglais avec le Brexit, la Hongrie avec tous ses voisins…), de distribuer dans de fastueuses cérémonies des prix « Sakharov » et ne pas se rendre compte qu’à Strasbourg, c’est l’Europe elle-même qui lève des murs : elle se bunkérise.
Une erreur sur le fond
Sur la sécurité, les risques existent bien sûr. Et ce ne sont pas les trop nombreuses victimes d’attentats qui diront le contraire. Mais ces personnes n’étaient pas protégées dans l’hémicycle du Parlement, c’étaient des citoyens qui animaient un journal, venaient écouter un concert, faire des courses ou simplement admirer un feu d’artifice. Les murs ne protègent pas : ils enferment ceux qui pensent être protégés.
Le message sur les panneaux municipaux dit que, « pour la sécurité de l’Europe » (sic), les Strasbourgeois doivent se détourner, passer ailleurs. Mais ne méritent-ils pas eux aussi de la sécurité ? La vie d’un citoyen de cette ville vaut-elle moins que celle d’un député européen ?
Cet épisode de la fermeture autoritaire de cette piste cyclable, pour paraitre anecdotique, est en fait très révélateur de la rupture entre l’Europe institutionnelle et les citoyens européens.
Je ne comprends pas que, dans notre ville qui se clame, à longueur de slogans, capitale européenne, personne ne prenne la parole pour s’élever contre l’ignominie qui se déroule sous nos yeux : un grignotage, lent mais mortel, de la belle idée européenne, celle de la liberté et de la démocratie.
Emmanuel Jacob